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Avocat indemnisation préjudice professionnel

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Sur le cumul entre l’indemnisation viagère des PGPF et l’indemnisation de l’IP pour les jeunes victimes inaptes

Un débat judiciaire a émergé ces derniers mois sur la possibilité, ou non, pour les victimes devenues définitivement et totalement inaptes de solliciter à la fois l’indemnisation de leur perte de gains professionnelles à titre viager et, d’autre part, une indemnisation au titre d’une incidence professionnelle.

Les assureurs font valoir que l’indemnisation de l’incidence professionnelle suppose la poursuite d’une activité professionnelle : n’ayant plus d’activité professionnelle, la victime définitivement inapte ne peut, selon eux, subir des incidences périphériques dans la sphère professionnelle.

Cette difficulté concerne spécialement les jeunes victimes qui, en raison du fait dommageable, sont inaptes et n’intégreront jamais le marché du travail.

 

Or, de notre point de vue, l'exclusion du monde du travail est un préjudice réel et certain qui mérite une indemnisation spécifique au titre de l'incidence professionnelle. Cette indemnisation n'est pas incompatible avec l'indemnisation des PGPF à titre viager.

La 2ème Chambre de la Cour de cassation s’est prononcée en faveur d’une incompatibilité (a), solution vivement critiquée par une partie de la Doctrine (b) et qui semble diviser les chambres de la Cour de cassation elle-même puisque la Chambre criminelle a accepté l'indemnisation du préjudice "découlant de la situation d'anomalie sociale" dans laquelle se trouve la victime exclue du monde du travail (c).

a.Position de la 2ème Chambre de la Cour de cassation : un cumul impossible

 

La Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur l’incompatibilité dans un arrêt du 27 avril 2017 (Civ. 2ème , 27 avril 2017, 16-13.360, Inédit).

La position de la Cour d’appel :

 

1°/ La Cour d’appel constate l’inaptitude totale et définitive de la victime.

2°/ Elle constate une PGPF à vie et lui alloue une rente viagère pour l’indemniser.

3°/ Elle constate que parallèlement à la perte de revenus, la victime subit une IP qu’elle caractérise ainsi :

  • Abandon de l'emploi,

  • Dévalorisation subie par la victime sur le marché du travail,

  • Augmentation de la fatigabilité au travail,

  • Fragilisation de la permanence de l'emploi ou la reconversion,

  • Nécessité d'opérer une reconversion professionnelle.

 

La Cour de cassation casse cette argumentation pour contradiction de motifs :

« En statuant ainsi, par des motifs contradictoires dès lors qu'en indemnisant la perte de gains professionnels futurs sur la base d'une rente viagère elle avait retenu l'impossibilité pour la victime d'exercer à l'avenir toute activité professionnelle, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ; »

Il est vrai que la motivation de l’arrêt de la Cour d’Appel pouvait surprendre et paraître illogique : elle mettait en avant des aspects de l’incidence professionnelle (fatigabilité, reconversion, dévalorisation sur le marché du travail) qui impliquent que la victime exerce une activité professionnelle.

Or, la victime ne peut pas subir une « fatigabilité accrue » au travail si elle est amenée à ne plus jamais travailler. Elle ne peut non plus exposer des frais de reconversion si elle n’est pas conduite à engager une reconversion du fait de son lourd handicap, et ne sera pas non plus dévalorisée sur le marché du travail puisqu’elle en a été exclue.

On aurait pu penser qu’il s’agissait là d’un arrêt d’espèce, sans lendemain, qui sanctionne une Cour d’appel qui n’a pas été rigoureuse dans la motivation de son arrêt et qui a retenu des aspects de l’incidence professionnelle qui ne pouvait pas, logiquement, coexister avec une sortie définitive du marché du travail.

 

Toutefois, la Cour a réitéré cette solution.

2ème arrêt :

La Cour de cassation s’est prononcée de manière plus explicite sur une incompatibilité entre une indemnisation viagère des PGPF et d’une IP dans un arrêt du 13 septembre 2018 (2ème Civ. 13 septembre 2018, pourvoi n°17–26.011, publié au bulletin).

La Cour d’appel :

Un jeune homme de 14 ans est victime d’un très grave accident de la circulation qui le rend inapte à l’exercice de toute profession. La cour d’appel indemnise la victime de ces PGPF en lui allouant une rente viagère et lui alloue en plus une indemnité supplémentaire pour une IP.

S’agissant de l’incidence professionnelle, la Cour d’appel la motive en indiquant que la victime « ne peut plus envisager d’exercer une activité professionnelle » ce qui semble caractériser pour elle, ipso facto, l’incidence professionnelle.

La Cour de cassation :

Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation au visa du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime au motif que :

« L’indemnisation de la perte de ses gains professionnels futurs sur la base d’une rente viagère d’une victime privée de toute activité professionnelle pour l’avenir fait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l’incidence professionnelle ».

Plus exactement, la Cour reproche au juge du fond de ne pas avoir expliqué :

« en quoi la somme accordée à la victime au titre de l’incidence professionnelle viendrait réparer autre chose que ce qu’il lui a déjà été alloué au titre des PGPF ».

Là encore, les praticiens du Droit s’étaient interrogés sur la portée de l’arrêt et, malgré la publication au Bulletin, avait cru y voir un arrêt dont la portée était limitée au seul défaut de motivation par les juges du fond.

La Doctrine estimait que la cassation ne portait pas sur le principe même du cumul entre PGPF  et IP, mais sur le fait que les juges du fond n’avaient pas caractérisé précisément la nature de l’incidence professionnelle (pénibilité accrue ? dévalorisation sur le marché du travail ? perte de droits à la retraite ?).

La Doctrine en avait conclu qu’il n’y avait pas d’incompatibilité de principe entre IP et PGPF à titre viager :

« Si l'arrêt n'exclut pas totalement le cumul d'indemnités pour ces deux postes de préjudice, c'est à la condition de caractériser une incidence professionnelle distincte des PGPF. »[1]

 

3ème arrêt :

 

Néanmoins, quelques semaines plus tard, la Cour de cassation enfonce à nouveau le clou et casse un nouvel arrêt d’appel qui avait retenu le cumul entre des PGPF à titre viager et une IP, alors que la victime était inapte à toute profession pour l’avenir (Civ. 2ème, 4 octobre 2018, 17-24.858, Inédit).

Il devenait ainsi de plus en plus évident que, pour la Cour de cassation, l’indemnisation des PGPF à titre viager, pour une personne inapte à toute activité professionnelle, excluait ipso facto une indemnisation supplémentaire au titre d’une IP.

L’inaptitude implique nécessairement l’inexistence d’une IP puisque, par définition, il n’y a plus de sphère professionnelle donc plus de répercussion professionnelle.

 

4ème arrêt :

 

Un nouvel arrêt du 7 mars 2019 est venu alimenter à nouveau la question de l’existence d’une IP en cas d’inaptitude définitive de la victime, avec une nouvelle motivation surprenante (Civ. 2e, 7 mars 2019, n° 17-25.855, FS-P+B).

Les faits :

A la suite de violences, un nourrisson de 4 mois est victime d’un hématome sous-dural dont il a conservé d’importantes séquelles de type « bébé secoué ». Ses parents ont saisi la CIVI pour l’indemnisation de ses PGPF et de son IP.

Arguments développés pour le compte de la victime :

La victime a rappelé dans un premier temps que :

  • le juge doit réparer tout le préjudice sans qu’il résulte ni perte ni profit pour la victime ;

  • que l’incidence professionnelle a pour objet d’indemniser la réparation des incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle ;

  • que ce poste de préjudice doit faire l’objet d’une estimation et d’une indemnisation, y compris pour les jeunes victimes qui ne sont pas entrées dans la vie active.

 

Puis, elle indique que :

  • ce préjudice ne se confond pas avec le déficit fonctionnel permanent, qui n’est relatif qu’aux incidences permanentes sur les fonctions du corps humain ;

 

Elle concluait que la privation de la possibilité d’exercer une activité professionnelle constituait un préjudice distinct des PGPF et distinct du DFP, qui devait être indemnisé de manière autonome.

Position de la Cour de cassation :

La Cour de cassation rejette l’argumentation de la victime et approuve la Cour d’appel d’avoir jugé que :

« la privation de toute activité professionnelle est d’ores et déjà prise en compte par l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent, fixé en tenant compte du très lourd handicap imputable à l’infraction. »

La Cour de cassation précise que :

« après avoir fixé par voie d’estimation la perte de gains professionnels futurs de M. G... R... liée à l’impossibilité d’exercer toute activité professionnelle, la cour d’appel a exactement relevé que la privation de toute activité professionnelle était prise en charge au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel inclut la perte de qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales, pour en déduire à bon droit qu’il n’y avait pas lieu de retenir l’existence d’une incidence professionnelle distincte de la perte de revenus déjà indemnisée ; »

 

Analyse de l’arrêt :

Cet arrêt opère un glissement dans l’argumentation de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation :

  • Dans ces arrêts de 2018, elle semblait indiquer que l’IP ne pouvait pas exister à partir du moment où la victime sortait définitivement du marché du marché du travail ;

 

  • Dans cet arrêt de 2019, elle semble reconnaître au contraire l’existence de ce préjudice spécifique, mais conclut qu’il est déjà indemnisé au titre du DFP au titre de l’atteinte aux conditions d’existence personnelles, familiales et sociales.

 

b. Critique de la solution de la Cour de cassation

 

Il résulte de cette jurisprudence que, lorsque 1°/ la victime est inapte pour l’avenir à toute profession et que 2°/ la victime a été indemnisée de ses PGPF par une rente viagère, alors 3°/ l'indemnisation de l'incidence professionnelle est écartée.

La Cour de cassation confirme ses réserves sans doute parce qu'elle considère que l'IP implique nécessairement une aptitude à exercer une profession.  

Or, comme l’écrit le Professeur Jourdain, il nous semble que :

« Cette position pèche par excès de généralité, certains éléments de l'IP pouvant cohabiter avec l'indemnisation des pertes de revenus »[2] sans qu’il y ait contradiction de motifs.

 

Trois séries d’arguments militent pour que « la privation définitive de la possibilité de travailler » soit réparée de manière spécifique et autonome au titre de l’IP en plus des PGPF.

 

i.La privation de l’activité professionnelle est un préjudice réel et certain

 

L’inaptitude professionnelle définitive et totale engendre pour la victime un désœuvrement forcé qui est un préjudice réel et certain devant faire l’objet d’une indemnisation spécifique[3].

Dans un excellent article paru en 2010, Jean-Baptiste PREVOST, philosophe du droit, fait une analyse très juste de la valeur du travail et du préjudice qui en résulte pour la victime qui est privée de la possibilité de travailler.

Il souligne que l’absence d’occupation professionnelle est loin d’être une situation enviable et que le travail loin de se réduire à sa fonction alimentaire, est un facteur de construction de l’identité et de prise de conscience de ses propres facultés et de son rôle dans l’organisation sociale.

  • Le travail impose une structure temporelle à la vie :

 

Le travail rythme la journée avec l’alternance des heures : « ceci nous permet de comprendre que le loisir n’a de sens et de réalité qu’en fonction du travail et de ses contraintes. Le loisir n’est tel, c’est-à-dire apprécié à sa juste valeur par l’individu, que par un effet de contraste avec les contraintes du travail. L’inactivité ne peut être considérée comme enviable dans la mesure où la conscience se perd progressivement dans la morne indifférence des jours, qui finissent par se ressembler tous. » 

 

  • Le travail permet de créer des liens sociaux :

 

C’est le lieu où l’on apprend à coopérer à s’associer et à composer avec d’autres identités, d’autres personnalités.

 

  • Le travail est un identificateur social :

 

Le travail apporte une information décisive permettant de situer immédiatement son interlocuteur dans l’espace social : « muni de cette seule information, nous pouvons construire une image assez précise de son mode d’existence, ses compétences intellectuelles, de son niveau de vie. »

 

  • Le travail donne des buts :

 

Le travail participe à l’organisation sociale permet à l’individu de réaliser les possibilités qui sont inscrites dans sa nature « par le passage du potentiel à l’actuel ». L’individu prend conscience de sa valeur individuelle.

 

Jean-Baptiste PREVOST conclut ainsi que : « le simple fait de ne plus pouvoir travailler, générant une situation d’anomalie sociale, constitue en soi un préjudice qui ne se réduit absolument pas à la seule perte de gain. »[4]

 

La privation de toute activité professionnelle est un préjudice certain, que cette privation survienne au cours d’une carrière professionnelle (victime adulte) ou qu’elle survienne avant même que cette carrière n’ait débuté (jeune victime).

La victime est privée de la fierté que peut procurer la construction d’une carrière professionnelle et de l’enrichissement qu’elle peut procurer sur le plan intellectuel, moral, relationnel.

Le lieu de travail est le lieu de rencontre de collègues, d’amis voire du conjoint, c’est un espace d’interactions sociales et d’altérité.

La victime inapte à toute activité professionnelle restera confrontée au « grand vide » qu’implique son désœuvrement contraint et forcé.

La souffrance morale de ces jeunes victimes privées définitivement de la possibilité d’accomplir une carrière professionnelle est réelle sur le terrain et entraine :

  • Sentiment d’inutilité sociale ;

  • Sentiment d’exclusion, d’isolement ;

  • Dévalorisation personnelle ;

  • Absence d’épanouissement ;

  • Absence de rencontre professionnelle ;

  • Absence de satisfaction au regard de progressions personnelles ;

  • Sentiment d’échec ;

  • Etc.

 

Ainsi, ne pas réparer ce préjudice spécifique reviendrait à nier la dimension sociale du travail et son rôle déterminant dans la construction de l’identité de la victime.

Si l’accident n’avait pas eu lieu, la victime se serait enrichie et se serait construit une identité notamment grâce au travail : le principe de réparation intégrale qui oblige à resituer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l’accident n’avait pas eu lieu, oblige donc à réparer ce préjudice.

 

ii.La privation de l’activité professionnelle ne peut pas être indemnisée au titre du DFP

 

Dans son arrêt du 7 mars 2019, la Cour de cassation reconnait l’existence de ce préjudice mais considère qu’il est déjà indemnisé au titre du DFP notamment en ce que le DFP inclurait la perte de qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales.

Or, il convient de reprendre la définition exacte du DFP telle qu’elle est exprimée dans la nomenclature Dintilhac :

« Ce poste de préjudice cherche à indemniser un préjudice extra-patrimonial découlant d’une incapacité constatée médicalement qui établit que le dommage subi a une incidence sur les fonctions du corps humain de la victime. »

Il s’agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime. Il convient d’indemniser, à ce titre, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après sa consolidation.

Ce poste peut être défini, selon la Commission européenne à la suite des travaux de Trèves de juin 2000, comme correspondant à “la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l’étude des examens complémentai re s produits, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours. »

 

Comme son nom l’indique, le DFP indemnise un déficit fonctionnel.

Or, la privation définitive de la possibilité de travailler ne constitue pas un déficit fonctionnel. Ce n’est pas d’une atteinte anatomophysiologique, ce n’est pas une altération ou une réduction du potentiel des différentes fonctions du corps humain.

La privation de l’activité professionnelle est la conséquence de ce déficit fonctionnel mais elle ne se confond pas avec lui, tout comme le préjudice esthétique est la conséquence d’un DFP mais ne se confond pas avec lui, tout comme le préjudice d’agrément ou sexuel est la conséquence d’un DFP mais ne se confond pas avec lui. Pourtant, nul ne contestera que ces préjudices sont indemnisés de manière distincte et autonome.

En outre, la nomenclature Dintilhac précise que le DFP indemnise les troubles que la victime rencontre « au quotidien » et « dans la vie de tous les jours », c’est-à-dire dans sa vie domestique et non dans la sphère professionnelle laquelle fait l’objet d’un poste particulier.

Par ailleurs, réparer ce poste de préjudice au titre du DFP conduit à réintroduire un mélange entre la sphère personnelle et la sphère professionnel alors que, précisément, la nomenclature Dintilhac visait à faire une stricte distinction entre ces deux aspects en mettant fin à la confusion qui régnait avec la notion d’ITT.[5]

Elle aboutit également à faire du DFP une catégorie « fourre-tout » qui devient illisible.

 

Par ailleurs, de facto, il est illusoire de croire que ce préjudice sera indemnisé au titre du DFP.

En effet, en pratique, il est notoire que les juges du fond, pour indemniser ce préjudice, utilise le référentiel commun des Cours d’appel[6], référentiel qui consiste à calculer l’indemnisation du DFP en multipliant le nombre de point de déficit par une valeur du point établi dans un tableau en fonction de l’âge de la victime.

 

Les conséquences de l’application « mathématique » de ce barème peuvent aboutir à des résultats absurdes, voire choquant.

Exemple :

Prenons trois victimes, X, Y et Z qui ont le même âge (17 ans), et dont le DFP est évalué après expertise à 15% pour chacune d’elle.

Situation de X :

X est déclaré définitivement inapte à toute activité professionnelle : il ne pourra jamais travailler.

  • DFP : 15 points x 2.550€ = 38.250€

  • IP : pas d’indemnisation car 1°/ X est totalement et définitivement inapte 2°/ X est indemnisé à titre viager de ces PGPF 3°/ la privation de la possibilité de travailler est déjà indemnisée au titre du DFP.

Total : 38.250€

 

Situation de Y :

Y est apte et ne subit aucune restriction professionnelle.

  • DFP : 15 points x 2.550€ = 38.250€

  • IP : pas d’incidence professionnelle.

Total : 38.250€

 

Situation de Z :

Z subit de fortes restrictions professionnelles (pas de port de charge lourde, temps de concentration réduit, problème de sociabilisation, etc.). Il ne pourra travailler que 2 heures par semaine sur un poste adapté.

  • DFP : 15 points x 2.550€ = 38.250€

  • IP : 50.000€ pour compenser la pénibilité/fatigabilité accrue, la dévalorisation sur le marché du travail, etc.

Total : 88.250€

 

En définitive :

X et Y se verront allouer exactement la même somme. Or, X ne pourra jamais plus travailler alors que Y pourra travailler sans restriction.

De fait, le préjudice de X qui doit abandonner l’idée de toute carrière professionnelle ne sera pas réparé, ce qui porte atteinte au principe de réparation intégrale du préjudice sans perte, ni profit pour la victime.

A l’inverse, X ne pourra jamais travailler et Z ne pourra travailler que 2 heures par semaines. Toutefois, en définitive, Z obtiendra une indemnisation beaucoup plus importante que X alors que Z conserve une capacité de travail résiduelle contrairement à X qui n’en a plus aucune.

Comme le souligne M. Clément COUSIN, cette solution revient :

« à traiter plus durement les victimes ayant dû renoncer à travailler que celles pouvant conserver une activité professionnelle. La victime ne pouvant plus travailler percevra seulement des PGPF tandis que la victime pouvant travailler une heure par semaine percevra la très grande partie des PGPF et une forte indemnité au titre de l’incidence professionnelle. Comment expliquer une telle solution, surtout quand la victime est empêchée, insistons, contre son gré, de travailler ? Cela revient à lui expliquer qu’une victime plus chanceuse qu’elle sera mieux traitée qu’elle. »[7]

 

Certes, les plaideurs pourront toujours demander une majoration de l’indemnité allouée à la victime au titre du DFP mais, en pratique, cette majoration n’est pas accordée, les juges du fond se contentant de multiplier le DFP par la valeur du point fixé par le référentiel des Cours d’appel.

C’est la raison pour laquelle ce préjudice doit être indemnisé au titre de l’IP.

 

iii.La privation de l’activité professionnelle doit être réparée au titre de l’IP

 

La difficulté du débat tient en partie au fait que l’IP est traditionnellement classée dans les préjudices patrimoniaux et que le préjudice lié à « la privation de toute activité professionnelle » pour l’avenir n’est pas, en soi, un préjudice patrimonial mais un préjudice extra-patrimonial.

Partant, la Cour de cassation conclut que le poste de l’IP, du fait de son caractère patrimonial, ne peut pas indemniser un préjudice extrapatrimonial.

Or, le raccourci est rapide car, en réalité, nul ne contestera le caractère hybride de l’incidence professionnelle.

En effet, bien qu’elle soit classée dans la catégorie des préjudices patrimoniaux, l’incidence professionnelle est un poste de préjudice qui contient à la fois des composantes patrimoniales et à la fois des composantes extrapatrimoniales :

Patrimonial

  • Perte de droits à la retraite (si elle n’est pas déjà indemnisée par les PGPF) ;

  • Frais de reclassement de la victime ;

  • Dévalorisation sur le marché du travail ;

 

Extra patrimonial

  • Fatigabilité, pénibilité accrue ;

  • Perte d’intérêt pour les nouvelles tâches confiées ;

  • Nécessité d’abandon son poste

 

Certains éléments de l’IP sont, par nature, logiquement incompatibles avec une inaptitude professionnelle totale et définitive et ne peuvent logiquement être indemnisés à partir du moment où la victime n’aura plus jamais d’activité professionnelle :

  • Dévalorisation sur le marché du travail ;

  • Pénibilité accrue au travail ;

  • Frais de reclassement ou de formation ;

  • Perte de droit à la retraite (si pris en charge au titre des PGPF).

 

En effet, l’existence de ces préjudices implique la poursuite d’une activité professionnelle. En l’absence d’activité professionnelle, ils n’ont aucune raison d’exister, la victime ne travaillant pas ou plus, elle ne connaîtra jamais la pénibilité accrue d’un poste qu’elle n’a pas, et n’exposera jamais de frais de reclassement ou de formation professionnelle.

A contrario, d’autres éléments de l’IP peuvent s’ajouter à l’indemnisation des PGPF à titre viager même si la victime est sortie définitivement du marché du travail, ainsi en est-il de :

  • la privation définitive de la possibilité de travailler.

 

Il n’y a là ni contradiction de motifs, ni double indemnisation, puisqu’on répare des préjudices différents et qui ne se recoupent pas : un préjudice patrimonial (PGPF) et un préjudice extrapatrimonial (IP).

Ce préjudice est la conséquence finale de la dévalorisation totale de la victime sur le marché du travail (qui est elle-même une composante de l’IP).

La « souffrance morale liée à la privation définitive de la possibilité de travailler » doit être classée dans l’IP comme l’invite à le faire la nomenclature Dintilhac.

En effet, le rapport Dintilhac précise bien que « la liste des préjudices à intégrer dans ce poste est indicative » et qu’il faut faire preuve de « pragmatisme » pour « ne pas retenir une liste limitative. »

L’esprit de la nomenclature est d’y intégrer toutes les répercussions sur la sphère professionnelle, quelle que soit la forme de ces répercussions.

D’ailleurs le rapport Dintilhac indique que l’IP peut indemniser :

  • la nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap.

 

Une partie de la Doctrine considère que la souffrance morale liée à l’abandon de la profession ne serait indemnisable que si la victime avait dû choisir une autre profession.

Or, à notre sens, il s’agirait là d’une interprétation littérale de la nomenclature contraire à son esprit.

En outre, la situation de la victime qui se trouve dans la nécessité d’abandonner sa profession sans possibilité d’en reprendre une autre, est une situation qui parait encore plus préjudiciable que celle qui doit « simplement » changer de métier.

On comprend mal dès lors pourquoi cette situation ne mériterait pas d’indemnisation alors qu’elle est plus grave que celle de la victime qui a pu se reconvertir.

La situation n’est pas différente pour les jeunes victimes qui sont déclarées, avant même la fin de leur formation, inapte à toute activité professionnelle.

Finalement, il n’y a pas lieu de distinguer les victimes qui doivent abandonner l’idée d’une carrière « en cours d’activité professionnelle » et celles qui doivent l’abandonner « avant même de l’avoir débutée. »

Certes, « À strictement parler, il n'y a pas d'« abandon » d'une profession antérieure lorsque la victime n'a encore exercé aucune profession. Mais le fait est qu'elle devra supporter sa vie durant le statut dévalorisant de personne professionnellement inapte, définitivement assistée financièrement car incapable de subvenir à ses besoins. On perçoit qu'elle pourrait en ressentir quelque souffrance morale liée à son incapacité professionnelle et qu'il y a là un préjudice méritant une indemnisation. Il nous semblerait donc juste d'accueillir la demande de la victime au titre de l'IP envisagée dans sa dimension extrapatrimoniale ; demande dont l'accueil apparaît tout à fait compatible avec l'indemnisation de ses pertes de revenus. Et s'il faut rattacher ce préjudice à l'un des éléments de l'IP listés par la nomenclature, sans doute est-ce à l'abandon de la profession antérieure, largement entendu, qu'il conviendrait de se référer, même si la situation de la jeune victime cadre mal avec l'idée d'abandon. »[8]

 

Enfin, il ne faut pas oublier que l’incidence professionnelle est une variable d’ajustement qui permet de réintroduire de l’équité et de l’humanité dans l’indemnisation : une évaluation plus subjective de l’IP permet de compenser le simple calcul froid et impersonnel des PGPF qui ne répond qu’à une logique purement mathématique et comptable.[9] L’indemnisation de la victime doit être personnalisée : réparer ce préjudice spécifique au sein de l’IP participe à cette individualisation de l’indemnisation et à respecter le principe directeur et fondamental de la réparation intégrale du préjudice.

 

c. Vers une divergence au sein de la Cour de cassation ?

 

Vivement critiquée par une partie de la Doctrine, la solution ne semble pas faire l’unanimité au sein même de la Cour de cassation.

En effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a pris l’exact contrepied de la 2ème Chambre civile en cassant un arrêt d’appel (qui avait appliqué la solution de la 2ème chambre civile) et en reconnaissant au titre de l’IP, un préjudice découlant de « la situation d'anomalie sociale dans laquelle il se trouvait du fait de son inaptitude à reprendre un quelconque emploi ».

La Chambre criminelle admet donc bien le cumul entre IP et PGPF à titre viager, même pour une personne devenue totalement inapte à la reprise d’une activité professionnelle, et ce en visant le principe de réparation intégrale (Chambre criminelle, 28 mai 2019, 18-81.035, Inédit) :

« Vu les articles 1240 du code civil et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, d'une part, le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ;

Attendu que, pour rejeter la demande de M. T... au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt retient que celle-ci a pour objet d'indemniser les difficultés de reclassement professionnel et suppose la possibilité de poursuite d'une profession et qu'en l'espèce, il a été retenu que M. T... n'était plus en capacité de poursuivre une activité professionnelle, les indemnités allouées par ailleurs ou au titre de la perte de gains professionnels futurs ou les indemnités déjà allouées ayant pour objet de l'indemniser de ce chef de préjudice ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi alors que M. T... sollicitait, au titre de l'incidence professionnelle, l'indemnisation d'un préjudice distinct de la perte de gains professionnels futurs et découlant de la situation d'anomalie sociale dans laquelle il se trouvait du fait de son inaptitude à reprendre un quelconque emploi ; »

 

Une divergence de jurisprudence au sein de la Haute Juridiction serait regrettable puisqu’elle conduirait à traiter différemment les victimes selon que leur dossier soit renvoyé devant la 2ème chambre civile ou la Chambre criminelle.

Dans ces conditions, une Chambre mixte ou l’Assemblée plénière de la Cour sera peut-être conduite à se réunir pour trancher ce débat.

A moins que la 2ème Chambre civile abandonne ce mouvement et reviennent à la solution antérieure qu’elle avait déjà admise.

En effet, la 2ème chambre civile n’a pas toujours tenu la même position. Dans un arrêt en date du 14 septembre 2017, elle avait admis le cumul entre PGPF à titre viager et indemnisation de l’IP.

En l’espèce, il s’agissait d’un journaliste dont les troubles comportementaux et cognitifs rendaient quasiment impossible la reprise de cette profession et faisait obstacle à la possibilité d’une reconversion professionnelle (Civ. 2e, 14 sept. 2017, n° 16-23.578).

« C'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a réparé, d'une part, au titre de la perte de gains professionnels futurs, la perte de chance de M. X... de retirer des revenus de l'exercice d'une nouvelle activité, d'autre part, au titre de l'incidence professionnelle, le préjudice résultant de la nécessité où il se trouve en raison de son handicap, de renoncer à l'exercice de sa profession de journaliste ; »

Cette position de la 2ème chambre, critiquée, peut apparaître en outre contradictoire avec le fait qu’elle admet l’indemnisation du PUF même si la victime est totalement inapte à suivre une formation.

 

[1] Jourdain P., Professeur à l'École de droit de la Sorbonne (Université Paris I, Panthéon-Sorbonne) Dommage corporel : une victime devenue professionnellement inapte peut-elle cumuler des indemnisations au titre de ses pertes de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle ? RTD Civ. 2019 p.114.

[2] Jourdain P., Professeur à l'École de droit de la Sorbonne (Université Paris I, Panthéon-Sorbonne) (2019) Les préjudices réparables d'un enfant de quatre mois lourdement handicapé, RTD Civ. 2019 p.344

[3] Bernfeld C. (2010), L’incidence professionnelle en cas d’impossibilité de travailler : le corps désoeuvré. Gaz. Pal. Juillet-aout 2010 p. 2577

[4] Prévost J-B (2010), Travail et Socialité : une analyse de la valeur travail, Gaz. Pal. Août 2010 p. 2579

[5] Gueguen A. (2019) Pitié pour l'incidence professionnelle et les très jeunes victimes ! Gaz. Pal. 23 mars 2019

[6] Recueil Méthodologique commun des Cours d’appel, version mars 2013

[7] Cousin C., L’incidence professionnelle amputée. Plaidoyer pour son replacement dans sa situation antérieure. [En ligne] (consulté le 22 août 2019) Disponible sur : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02117344/

[8] Note 28.

[9] Note 28.

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