Actualités : procédure d'indemnisation des victimes d'accident de la circulation
Le juge doit relever d'office la Loi Badinter instituant un régime d'indemnisation spécial des victimes d'accident de la route.
Les faits : un véhicule appartenant à une société X est percuté par un scooter conduit par Monsieur Z.
La société X assigne devant le Juge de proximité Monsieur Z et son assureur sur le fondement de la responsabilité délictuelle des anciens articles 1382 et suivants du Code civil, dans leur version en vigueur au moment des faits.
Manifestement, le défendeur n'avait pas agi sur le bon fondement juridique, ce que n'a pas manqué de relever le juge de proximité qui a rappelé que les accidents de la circulation relevaient du régime spécial d'indemnisation institué par la Loi BADINTER du 5 juillet 1985.
Le juge de proximité en conclut que l'action de la société X est mal fondée et, en conséquence, la déboute de ses demandes.
Toutefois, la décision du juge de proximité, qui avait pourtant identifié l'erreur de droit, est tout de même cassé par la Cour de cassation pour violation de la Loi de 1985 et de l'article 12 du Code de procédure civile.
La Cour de cassation estime en effet qu'il incombait au juge "pour trancher le litige de faire application, au besoin d'office, des dispositions d'ordre public de la loi du 5 juillet 1985" (Civ. 2ème, 5 juillet 2018, F-P+B, n°17-19.738).
Le juge ne pouvait pas se contenter de constater que, en l'espèce, le fondement soulevé par les parties était mauvais pour les débouter ensuite de leurs demandes.
Il devait, en réalité, substituer le mauvais fondement juridique par le fondement correct au regard du caractère d'ordre public de la loi applicable au litige qui lui était soumis.
Il est en effet acquis de longue date que les dispositions de la Loi BADINTER sont d'ordre public (Civ. 2ème, 20 janvier 2000, n°98-13.871).
Cet arrêt, largement publié, s'inscrit dans la ligné de celui rendu par l'Assemblée Plénière le 21 décembre 2007 : si l'article 12 du Code de procédure civile ne fait pas obligation au juge de modifier le fondement juridique invoqué par les parties (même s'il est erroné), il en est autrement lorsqu'il s'agit de règles particulières.
Tel est le cas lorsque c'est la Loi qui prévoit le relevé d'office par le juge de certaines règles ou encore lorsque les dispositions applicables au cas d'espèce sont d'ordre public.
Si en principe, le juge ne doit pas faire le travail des parties et de leurs conseils en corrigeant les erreurs ou omissions qu'ils peuvent commettre, il en est autrement lorsque le litige porte non pas seulement sur des considérations financières, mais également sur des aspects corporels étroitement liés à des considérations humaines, éthiques et de santé publique. Dans ce cas l'application du Droit prime sur les erreurs et omissions commises par les parties.
La Loi BADINTER vise précisément à assurer la réparation du dommage corporel subi par une victime : l'objectif de la loi doit être atteint et il ne saurait être atteint si les erreurs des victimes, sans doute non conseillées comme dans le cas d'espèce, n'étaient pas corrigées par le juge.
L'articulation entre perte de gains professionnels futurs et incidence professionnelle
La Cour de cassation a récemment jugé que l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs d'une victime privée définitivement pour l'avenir de la possibilité de reprendre toute activité professionnelle interdit toute indemnisation supplémentaire au titre de l'incidence professionnelle.
Dans un arrêt du 13 septembre 2018, pourvoi n°17-26011, la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation semble considérer que l'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs pour une victime dans l'impossibilité de reprendre une activité professionnelle exclut par principe et ipso facto une indemnisation complémentaire au titre de l'incidence professionnelle.
Cette décision est vivement critiquable : il ne faut pas confondre la perte de gains professionnels futurs (poste de préjudice à caractère patrimonial) et l'incidence professionnelle (poste à caractère extra-patrimonial).
Selon la Nomenclature Dintilhac, l'incidence professionnelle "a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle."
Ces incidences périphérique peuvent être : une pénibilité accrue sur le poste, une dévalorisation sur le marché du travail, l'obligation de reclassement sur un autre poste, l'abandon de l'activité professionnelle, le retard ou la perte d'une promotion.
L'incidence professionnelle répare donc des préjudices très variés et bien plus larges que la perte de gains professionnels stricto sensu.
Il a déjà été jugé que le fait de ne pas pouvoir reprendre d'activité professionnelle empêchait la victime de se plaindre d'une pénibilité accrue au poste puisque par définition elle ne travaille plus et n'endure pas cette pénibilité.
Toutefois, le fait de ne pas pouvoir reprendre l'activité professionnelle n'exclut pas ipso facto l'existence d'un des autres aspects de l'incidence professionnelle. Par exemple, il n'y a pas d'incompatibilité de nature entre une impossibilité totale de reprendre l'activité professionnelle (indemnisée au titre de la perte de gains) et le préjudice moral et distinct résultant de l'exclusion définitive du marché du travail, de l'abandon de son métier.
Il n'y a pas double indemnisation mais indemnisation de préjudices distincts : l'un de nature patrimoniale, l'autre de nature extra-patrimonial.
D'ailleurs, la 1ère Chambre de la Cour de cassation l'a bien compris en retenant une incidence professionnelle en plus de la perte de gains professionnels futurs quand la victime a dû renoncer définitivement au métier exercé antérieurement (1ère Ch. Civ. 14 septembre 2017 16-23578).
Nous irons même plus loin : l'impossibilité de reprendre toute activité professionnelle entraine nécessairement et ipso facto une incidence professionnelle.
Le travail est source d'épanouissement personnel, il forge l'identité sociale, il est facteur d'intégration, de valorisation de soi. Le travail va bien au-delà de l'aspect purement pécuniaire réparé par la perte de gain.
L'exclusion du monde du travail, le désoeuvrement et l'inactivité forcée qui en découle pour la victime constitue un préjudice indéniable et distinct de la seule perte de revenus qui doit être indemnisé de manière autonome au titre de l'incidence professionnelle.
